Tout a commencé en lisant une interview de Frédérique Vidal donnée à l’AEF le 4 décembre dernier à propos des regroupements universitaires. « Nous devons être pragmatiques car il ne s’agit pas de refaire l’Université de Paris !», déclarait la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Mais à quoi faisait-elle référence exactement ? Il semble régner une grande confusion autour de cet établissement et de cette marque apparemment convoitée ces derniers temps. Elle pourrait d’ailleurs faire son grand retour prochainement…
Levons d’abord une première idée reçue : non, « la Sorbonne » n’est pas la plus ancienne université parisienne. Elle n’a même d’ailleurs jamais réellement été une université de plein droit. Si ce terme de « Sorbonne » est utilisé à tort pour désigner l’ancienne Université de Paris, il correspond en réalité à un collège pour étudiants en théologie créé en 1253. Comme d’autres collèges conçus pour accueillir des pensionnaires étudiants, il faisait donc partie de l’Université de Paris, elle-même fondée au 12ème siècle et reconnue université dès 1200.
Mais par métonymie, et certainement par la force symbolique de son bâtiment situé dans le quartier latin, la marque « Sorbonne » a finalement pris le dessus auprès du grand public. Endossée par 5 établissements (3 universités et 2 COMUE parisiennes), elle est aujourd’hui la marque universitaire française la plus connue en France et dans le monde (et une des plus déposées, avec près de 150 marques associées protégées)… mais, promis, nous y consacrerons prochainement un autre article.
L’Université de Paris était donc non seulement la plus ancienne des parisiennes, mais de l’hexagone ! Elle assurait à l’origine la formation de tous les clercs, c’est-à-dire de tous les cadres et agents administratifs des institutions royales (conseil d’État, parlements, tribunaux, cours des comptes, impôts, etc.) et ecclésiastiques (enseignement, hôpitaux, libraires, recherche, évêques, abbés).
Pour être totalement exact, sa marque son appellation d’origine du 12ème siècle était universitas magistrorum et scholarium Parisiensis (littéralement : ensemble des maîtres et des élèves de Paris). Son logo Ses armoiries étaient constituées d’une main sortant d’une nuée au chef de l’écu, qui tient un livre au milieu de trois fleurs-de-lys, évoquant ainsi le patronage des rois de France. Sa baseline Sa devise était Hic et ubique terrarum, comprendre « Ici et partout sur la terre », pour marquer le pouvoir qu’elle donnait à ses docteurs de lire et d’interpréter à Paris et en tous les endroits du monde.
Armoiries de l’Université de Paris.
Supprimée en 1793 suite à la révolution française, elle renait en 1896 forte de six facultés : sciences, lettres, droit, médecine, pharmacie et théologie. En 1970, suite aux conséquences politiques de mai 68 et à une massification incompressible de ses effectifs, elle finira éclatée en 13 nouvelles universités autonomes (de « Paris 1 » à « Paris 13 »). Cet ensemble parisien universitaire hétérogène pèse de nos jours plus de 350 000 étudiants !
En 2008, la marque « Université de Paris » est déposée par…
Riche de cette histoire séculaire, l’établissement est pourtant tombé aux oubliettes… Ses seules incarnations se retrouvent aujourd’hui dans des boutiques de souvenirs touristiques de la capitale. Egalement disponibles en ligne, on trouve facilement sweat-shirts et autres casquettes ou mugs inspirés du blason de Paris. Curieux mélange des genres.
On se souvient d’ailleurs avec un brin de nostalgie de ces scènes du film culte La Cité de la Peur dans lesquelles Dominique Farrugia porte un de ces t-shirts, immortalisé à tout jamais.
Ces utilisations commerciales de la marque dans l’impunité la plus totale ne doivent pas faire oublier qu’il en existe pourtant un véritable propriétaire…. en la Ville de Paris justement ! Celle-ci a en effet déposé la marque auprès des services d’INPI le 30 avril 2008.
« A l’initiative de Jean-Louis Missika [alors adjoint au maire de Paris, chargé de l’innovation, de la recherche et des universités], nous avions engagé une réflexion sur la question de la représentation du campus parisien. Nous souhaitions pouvoir fédérer les établissements parisiens sous une sorte de bannière commune, dans une logique de signalisation » nous rapporte un représentant de la Ville. « Finalement, nous avons opté pour laisser le contexte universitaire, en pleine restructuration, se stabiliser avant d’engager une démarche plus tangible ».
Et concernant l’utilisation de la marque par des fabricants de textile à des fins commerciales ? « Nous sommes conscients du problème » sans pour autant avoir engagés des actions, très complexes dans la jungle des opérateurs du merchandising touristique.
Et quid d’un usage de la marque par une université ou un ensemble universitaire ? « A ce jour, aucune demande ne nous a été formulée, mais il est évident que dans ce cas, nous pourrions accorder des licences gracieuses ».
Mais la marque « Université de Paris » serait-elle stratégiquement pertinente pour une université ou un rassemblement d’établissements ?
Oui de toute évidence ! Notamment à l’international. Bien qu’il jouisse encore d’une image ambiguë en France, le terme « université » est, dans le monde, le qualificatif le plus évident (et valorisant) pour tout établissement d’enseignement supérieur et de recherche qui se respecte : l’appellation la plus répandue et la plus intelligible sur les 5 continents.
Quant à la marque « Paris », sa valeur est inestimable, tant en matière de notoriété et d’image, que de retombées économiques. Le département marketing et communication des marques de la Ville de Paris recevrait d’ailleurs plus de 400 demandes d’exploitation par an !
Et Paris est en tête de tous les classements d’attractivité : 2ème ville au monde préférée des étudiants derrière Montréal (QS Best Student Cities 2017), 3ème derrière San Francisco et New York pour son attractivité économique (Global Cities 2017, AT Kearney), 3ème ville la plus visitée du globe après Bangkok et Londres (Global Destination Cities Index 2017, Mastercard).
Donc une marque simple, évidente et porteuse d’une grande valeur tant sur le plan historique, qu’intellectuel ou émotionnel et potentiellement financier (services de formation et de recherche à destination des entreprises, fundraising, produits dérivés, etc) !
La réservation du nom de domaine « universitedeparis.fr » signe d’une possible résurrection
Si rien n’est moins certain sur le plan politique et institutionnel, nous avons néanmoins découvert que le nom de domaine universitedeparis.fr vient d’être acheté, il y a moins d’un mois, le 16 novembre 2017. L’acheteur n’est autre que l’université Paris Diderot.
Coïncidence ou non, mais celle-ci est actuellement engagée dans un potentiel projet de regroupement avec l’université Paris Descartes et l’Institut de Physique du Globe de Paris. Projet dans lequel étaient initialement impliquées SciencesPo et l’université Sorbonne Nouvelle, pour laquelle il était évidemment impensable de ne pas créer une marque faisant référence à la Sorbonne.
Mais celle-ci a finalement quitté ce projet de regroupement et les jeux sont donc potentiellement ouverts pour un tout autre nom… Pour l’instant celui-ci se nomme Université Paris 2019, mais gageons que le futur ensemble s’il voyait le jour endosserait un nom plus intemporel.
« Le nom de la nouvelle université sera définitivement adopté au moment du vote sur les statuts en juin 2018 » apprend-on.
L’Université de Paris renaîtra-t-elle ainsi de ses cendres ?… A suivre.